Des manifestants au Caire : « Le pouvoir fait dans son froc ! »

Monde, Révolution | pandore | janvier 30, 2011 at 11 h 53 min

Reportage place Tahrir, au cœur de la capitale égyptienne et des manifestations contre le Président Moubarak.

Des militaires et des manifestants place Tahrir au Caire, le 29 janvier (Yannis Behrakis/Reuters).

Ne pouvant transmettre par Internet, toujours coupé en Egypte, la journaliste Marion Guénard, qui vit au Caire, nous a dicté cet article au téléphone. Elle a passé la journée sur la place Tahrir, lieu central de rassemblement des manifestants. Alors qu’elle finit de dicter son article, elle s’interrompt et regarde par la fenêtre : une colonne de tanks est en train de remonter sa rue. Voici son reportage.

(Du Caire) Une tâche de sang flotte sur le cortège. C’est le corps d’un jeune homme, porté par des milliers de mains, aussitôt élevé en martyr. Des cris d’horreur fusent. Sur les visages, les larmes coulent. « Les policiers tirent sur nous, ce sont des chiens ! », hurle un manifestant.

Capture d'écran d'Al Jazeera : des manifestants portent le corps d'un mort place Tahrir, au Caire, le 29 janvier.Pour la cinquième journée consécutive, plusieurs milliers d’Egyptiens sont réunis sur la place Tahrir, la place de la libération. Plus déterminés que jamais malgré la présence des tanks, malgré les détonations qui claquent dans l’air, malgré le nombre des victimes qui augmente. Derrière eux, le siège du Parti national démocrate, le parti du raïs, incendié la nuit derrière, flambe encore.

« Je ne veux plus de ce gouvernement qui me suce le sang »

Ola Shabaan, une jeune femme de 32 ans, assure, les yeux brillants d’espoir :

« Même si on doit en payer le prix, nos vies, je ne pense pas que ce soit cher payé. Ce qui se passe aujourd’hui est une victoire pour l’Egypte, pour nos enfants et pour les générations futures. »

Les coups de feu s’intensifient. Dans les rues adjacentes, des affrontements ont lieu entre la police et les manifestants. Plusieurs dizaines de blessés s’extraient de la ligne de front la tête ensanglantée, le corps et les jambes parfois criblés de petites balles en plastique. Des culots de balles réelles circulent de mains en mains.

Bousseina Said en serre un dans son poing. Vendredi, elle était en première ligne. « J’ai été touchée au coude, à la cuisse, et une balle a effleuré ma tête », raconte cette coiffeuse de 35 ans, le bras bandé et la joue égratignée. « Mais je m’en fiche, je ne veux plus de ce gouvernement qui me suce le sang ! »

Plus loin, des manifestants interpellent les militaires, juchés sur leurs chars. « Nous vous respectons, nous aimons l’armée ! Mais nous ne voulons plus de Moubarak. Qu’il dégage ! », lance un civil avant de prendre dans ses bras l’officier qui lui fait face. « Nous aussi, nous aimons les Egyptiens », lui répond le gradé.

Vendredi soir, le Président a appelé l’armée en renfort pour faire taire l’insurrection. Mais à aucun moment elle ne s’est montrée menaçante. Sami Khattab, 30 ans, habitant du quartier populaire de Shubra, dans le nord du Caire, s’interroge :

« On ne sait pas quel camp a choisi l’armée, le peuple ou le Président. On a besoin de l’armée. Avec elle, le Président tombe, comme en Tunisie. »

Le règne de la confusion

A mesure que la nuit approche, la situation devient de plus en plus confuse. Les rumeurs circulent. « Il faut partir, l’armée a reçu l’ordre de tirer sur les personnes qui ne respecteront pas le couvre-feu », lance un manifestant.

Soudain, une immense clameur monte de la foule. Un cri de joie collectif. Les manifestants s’embrassent et se prennent les mains. Mais la liesse est de courte durée. Tous ont cru qu’Hosni Moubarak avait quitté le pays. L’information était fausse.

« C’était une ruse pour nous faire reculer », explique une manifestante, convaincue.

Armée, violence, désinformation… peu importe, Bahaa est confiant. Cet Egyptien de 52 ans est un habitué de la contestation. Il était déjà là en 1977, lors des émeutes contre l’augmentation du prix du pain, lesquelles avaient fait vaciller le régime :

« On a déjà gagné. Ils ont coupé Internet et le téléphone. Ils usent d’une violence inouïe contre nous : c’est sûr, ils font dans leur froc ! »

Des manifestants porte un Egyptien blessé sur la place Tahrir, au Caire, le 29 janvier (Yannis Behrakis/Reuters).

Photos : des militaires et des manifestants place Tahrir au Caire, le 29 janvier (Yannis Behrakis/Reuters) ; capture d’écran d’Al Jazeera : des manifestants portent le corps d’un mort place Tahrir, au Caire, le 29 janvier ; des manifestants porte un Egyptien blessé sur la place Tahrir, au Caire, le 29 janvier (Yannis Behrakis/Reuters).

http://www.rue89.com/2011/01/29/des-manifestants-au-caire-le-pouvoir-fait-dans-son-froc-188132

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