Lettre ouverte tibétaine au sieur Mélenchon

Révolution | pandore | juillet 4, 2012 at 22 h 17 min

Melechon pro chinois

Comme beaucoup de lecteurs ébahis, j’ai pris connaissance il y a peu des sorties sidérantes et quasi révisionnistes du sieur Jean-Luc Mélenchon concernant le Tibet et les manifestations ayant accompagné le passage de la flamme olympique à Paris, sorties médiatiques depuis relayées sur son blog et soutenues dans ces mêmes colonnes d’Agoravox par Lilian Massoulier. Je me permets de lui adresser cette lettre ouverte qui s’intéressera uniquement à la question tibétaine, telle qu’il la traite, son antagonisme personnel avec Robert Ménart de Reporter sans frontières me semblant tout à fait anecdotique en la circonstance.

Si vous nous avez habitués à ce genre de saillies témoignant d’une subsistance atavique de doctrine trotsko-stalinienne à la sauce ultranationaliste, cette dernière envolée dépasse cette fois tout ce qui peut être dit en matière de contre-vérité historique, de justification de toutes les colonisations, invasions et autres atteintes aux droits des minorités et de l’homme en général.

Le fait que bien peu de gens soient au fait de l’histoire et de la situation effective du peuple tibétain vous permet sans doute de penser qu’il vous sera plus facile de proférer autant de scandaleuses assertions, mais il n’en est rien. En dehors de toute question idéologique, il se trouve un certain nombre de personnes, dont je suis, qui ont pris la peine, en plus d’avoir un peu étudié l’histoire du Tibet, de se rendre compte sur place de la situation et particulièrement dans les provinces chinoises formant l’ancien Tibet historique.

Mais, avant d’entrer dans le vif du sujet, sachez que vos propos ont au moins le mérite d’éclairer les citoyens sur la réalité idéologique de cette « ultragauche » dont vous vous faites le chantre, entre un Laurent Fabius, sans doute gêné par votre prose, et un Olivier Besancenot qui s’ingénie à travers un discours Bisounours à désamorcer les relents totalitaires qui ont toujours accompagné cette mouvance, dont les accointances historiques avec la droite la plus nationaliste ne sont plus à démontrer.

Vous arguez de votre amitié envers la Chine, soit. Rien ne me permet de me définir comme un ennemi de ce vaste pays à l’histoire si chaotique, mais rien non plus ne peut m’amener en 2008 à encore croire au miracle maoïste ni aux bienfaits du régime de Hu Jintao dont il vous aura peut-être échappé qu’il figure aujourd’hui la plus grande dictature hyper-capitaliste du monde, aux antipodes des rêves les plus mesurés de vos amis alter-mondialistes.

Venons-en à vos propos et commençons par votre analyse historique  :

Vous écrivez : « Le Tibet est chinois depuis le XIVe siècle. Lhassa était sous autorité chinoise puis mandchoue avant que Besançon ou Dôle soient sous l’autorité des rois de France. Parler « d’invasion » en 1959 pour qualifier un événement à l’intérieur de la révolution chinoise est aberrant. »

Dès cette phrase lue, on comprend que votre démarche ne peut être honnête et que tout le reste de l’article sera au diapason. Et là de se demander : êtes-vous inculte à ce point pour étaler aussi fièrement votre ignorance de l’histoire de la Chine et du Tibet ou est-ce pure provocation malsaine ? Car, enfin, votre raisonnement est aussi absurde que de supposer attendre de la France qu’elle règne sur la Russie au prétexte que les troupes napoléoniennes y furent de passage… Même si ce parallèle est en soit inepte, il a en commun le fait que le peuple russe possède une langue d’une provenance diamétralement opposée au latin dans sa structure comme dans son alphabet, au même titre que diffèrent le chinois et le tibétain, langue d’inspiration birmane fondée sur une construction alphabétique d’origine indienne. Quant au Tibétains eux-mêmes, ils ne sont tout simplement pas de la même race que les Hans, ethnie majoritaire de la Chine. Même s’il est aujourd’hui toujours difficile de rattacher les Tibétains à un autre groupe humain, bien qu’il se rapprochent beaucoup plus des Mongols que des Chinois. De ce point de vue, on pourrait effectivement considérer comme « aberrant » que l’Algérie, différente de race (en tant que sous-groupe racial seulement) et de structure linguistique, ne soit plus française. Personnellement, je ne le regrette pas. Mais puisque j’évoque les Mongols, revenons-en à votre phrase et commençons la leçon d’histoire. Non, M. Mélenchon, le Tibet n’est pas chinois depuis le XIVe siècle, pas plus que l’on peut dire que la Chine est tibétaine depuis le XIVe siècle, bien qu’à un moment donné (VIIIe et IXe siècles), la Chine fut effectivement tibétaine – eh oui mon bon Monsieur. Vous dites à la fois un énorme mensonge, mais commettez également un grave confusion historique dont les premiers lésés sont les Mongols en personne. Figurez-vous que la période juste antérieure à celle que vous décrivez était celle de la domination totale des Mongols de Kubilaï sur le Tibet comme sur la Chine. Faut-il pour autant souhaiter que la Chine soit aujourd’hui mongole ??? Par la suite, au cours de ce fameux XIVe siècle dont vous ne savez rien et qui marque en Chine l’avènement de la dynastie Ming, le Tibet était totalement indépendant et ce jusqu’au début du XVIIe siècle. En revanche, sachez que, durant la même période, les Tibétains qui, comme vous le dites justement, étaient très loin des gentils enfants de chœurs que l’on nous présente le plus souvent, ont considérablement renforcé leur influence au Nord, instillant leur religion jusque dans les régions les plus reculées de Mongolie grâce notamment au soutien de dirigeants Mongols tels Altan Khan. Et ceci dans le cadre de l’alliance entre les Tibétains Gelugpas et les bouddhistes Mongols. Sachez également que c’est à ce moment qu’apparaît le titre de Dalaï-Lama, mot d’origine mongole et non chinoise, tout comme le mot Tibet. Ce n’est qu’à partir du XVIIe siècle – le XVIIe siècle, M. Mélenchon – que les Chinois prennent possession du Tibet, la Chine étant précédemment un pays allié et plus petit que le Tibet. Et quand je parle des Chinois, je parle de la Dynastie Qing, non pas d’origine chinoise, mais Manchoue comme vous le dites… Et, encore, cette période a vu se succéder plusieurs types de régimes et d’administrations où le Dalaï-Lama fut parfois le véritable chef de l’Etat. Sauf que, toute chose ayant une fin, si si, la dynastie Qing a périclité à la fin du XIVe siècle et le Tibet est REDEVENU INDEPENDANT EN 1913, tandis que les dernières troupes chinoises étaient chassées sans ménagement. Durant cette période qui voit l’avènement du XIIIe Dalaï-Lama, le Tibet est en proie aux luttes d’influences entre pays européens et particulièrement la Russie et l’Angleterre, cette dernière finissant pas s’imposer. Pourquoi le Tibet n’est-il pas légitimement anglais ? Enfin, c’est durant le règne du XIIIe Dalaï-Lama, Thubten Gyatso que l’autorité religieuse, la terrible Théocratie dont vous parlez, a cherché, après d’effectifs longs siècles d’obscurantisme et d’isolement, à s’ouvrir au monde autant qu’à une vision pacifique et humaniste qui est aujourd’hui la sienne et n’a rien à voir, mais vraiment rien à voir avec la fable que vous décrivez. Et, pour avoir arpenté longuement les chemins sinueux des plateaux du Qinghaï aux côtés de familles nomades tibétaines, je saute en l’air en lisant votre description à côté de laquelle Le Tintin au Tibet que vous décrivez et dont l’action, pour information, se déroule au Népal et non au Tibet, semble criant de vérité.

Voilà concernant la phrase lige de votre argumentation sur le Tibet, phrase dont pas un mot ne correspond à la réalité historique ! Passons sur votre comparaison avec la Vendée : « Dit-on que la France a « envahi » la Vendée quand les armées de notre République y sont entrées contre les insurgés royalistes du cru ? »,dont la pertinence est à peu près nulle après ma démonstration, mais que les descendants des familles vendéennes massacrées apprécieront à leur juste valeur, bien que les Vendéens n’y aient pas été de main morte non plus (et, je vous rassure, je ne suis pas plus royaliste que vous historien).

Continuons sur votre chef-d’œuvre de désinformation après un grand bond en avant, si je puis dire…

Vous écrivez : « Le Dalaï-Lama et les autres seigneurs tibétains ont accepté tout ce que la Chine communiste leur proposait et offrait, comme par exemple le poste de vice-président de l’assemblée populaire que « sa sainteté » a occupé sans rechigner. »

Le Dalaï-Lama dont vous parlez, l’actuel Tenzin Gyatso, était, lors des négociations avec la Chine faisant suite à l’INVASION (oui, l’invasion puisque je rappelle que les Chinois avaient quitté le Tibet en 1913), un adolescent de 15 ans !!! 15 ans, M. Mélenchon… Comment vouliez-vous alors que ce gamin, sans armée et mal conseillé puisse tenir tête à votre idole Mao ??? Cela a débouché sur l’Accord en 17 points dont pas un seul n’a été effectivement respecté par la Chine. Pourtant, très vite, et les Occidentaux, Américains en tête n’y furent effectivement pas étrangers, la rébellion prit comme une traînée de poudre à partir des révoltes du Kham en 1956 dont vous dites : « Cela jusqu’au jour de 1956 où le régime communiste a décidé d’abolir le servage au Tibet et régions limitrophes. Dans une négation des traditions, que j’approuve entièrement, les communistes ont abrogé les codes qui classaient la population en trois catégories et neuf classes dont le prix de la vie était précisé, codes qui donnaient aux propriétaires de serfs et d’esclaves le droit de vie, de mort et de tortures sur eux. » Encore faux M. Mélanchon. Si la négation totale de toute la culture tibétaine, bons comme mauvais aspects, a participé de la « mauvaise humeur » ambiante, c’est avant tout le non-respect de l’Accord en 17 points et surtout la famine atroce, liée à collectivisation des terres, qui a touché toutes les régions tibétaines (Amdo, Kham, etc.) qui sont à la source de ces émeutes. L’émeute de 1959, elle, est essentiellement liée à la poursuite de ce désastre économique et à la tentative d’arrestation du Dalaï-Lama. Vous qui semblez représenter une étrange frange de la gauche, M. Mélanchon, sachez que l’histoire nous montre que le moteur de la plupart des émeutes est avant tout la faim. Et, dans ce cas, cette faim était le fait de votre charmant Grand Timonier, mais comme il n’était pas Américain, les atrocités que l’Histoire lui impute ne semblent pas vous déranger. Et, parmi ces atrocités, je suppose que la mort de plus d’un million de Tibétains dans cette période, ainsi que la condamnation à l’exil de plus de 100 000 d’entre eux ne vous font pas davantage sourciller. Et, je le répète, je ne partage en rien l’angélisme de la plupart des Occidentaux qui ont une vision très déformée de la réalité historique tibétaine, parsemée de violences, d’inégalités et de massacre, comme celle de la plupart des pays de notre planète.

Avant d’en venir à la réalité de la vie des Tibétains en Chine aujourd’hui, réalité que, comme le reste vous ignorez superbement, je m’attarderai quelques instants (pas davantage) sur votre brillante analyse géopolitique des revendications tibétaines et ses gravissimes conséquences !!!

Je vous cite à nouveau : « En ce qui concerne le droit international et la géopolitique, le dossier du Tibet tel que présenté par ses partisans est un facteur de violences, de guerres et de déstabilisation aussi considérable que celui des Balkans. Quel genre de Tibet est défendu ? Le « grand Tibet » incluant des régions comme le Yunnan et le Sichuan, sur les territoires des anciens seigneurs de la terre où sont organisés des troubles en même temps qu’à Lhassa ? Bien sûr, aucun de ceux qui s’agitent en ce moment ne se préoccupe de savoir de quoi il retourne à ce propos. Rien n’indique mieux le paternalisme néo-colonial ni le racisme sous-jacent à l’enthousiasme pro-tibétain que l’indifférence à ces questions qui mettent en cause la vie de millions de personnes et des siècles d’histoire et de culture chinoise. »

Vous faites mine d’ignorer les revendications des Tibétains et semblez craindre un embrasement de l’Asie sous les coups de boutoir de leur volonté expansionniste ! Il fallait oser l’écrire. « De quoi il en retourne ? » demandez-vous benoîtement. Vous savez très bien que la seule revendication du gouvernement en exil, des Tibétains du territoire autonome et de ceux des provinces chinoises est d’avoir simplement les mêmes droits que les autres habitants, même si ces droits réclamés pour ce qui est du territoire autonome ne concerne qu’une forme de respect des libertés et non l’instauration d’une théocratie, dont la description que vous faites est liée au Tibet du XIXe siècle et des périodes antérieures au 13e Dalaï-Lama. Sachez d’ailleurs qu’en ces époques il ne faisait pas forcément bon vivre en France non plus pour ceux qui n’appartenaient pas à l’élite… Quant aux revendications territoriales, elles ne concernent rien d’autre que l’actuel « territoire autonome » et ne demandent pas bien plus que le respect du fameux Accord en 17 points évoqué plus haut et proposé par la puissance chinoise.

Voilà pour ce qui est de votre argumentation concernant le Tibet, M. Mélanchon. Un tissu de mensonges qui frise le révisionnisme typique des staliniens.

Ce qui me surprend plus encore, c’est qu’en vantant les bienfaits relativement fictifs de l’invasion chinoise, vous ne faites que justifier toutes les colonisations passées ou présentes, dont l’argument massue a toujours été l’apport des bienfaits de la civilisation. Et là, c’est énorme, surtout de votre part, bien que votre redoutable nationalisme y trouve une part de satisfaction. Etes-vous l’un des soutiens inconditionnels de Georges Bush, M. Mélanchon ??? Vous savez, ce même Bush qui a justifié l’invasion de l’Irak par la nécessité de faire découvrir la démocratie à ces pauvres manants d’Irakiens, en dehors bien sûr des fameuses armes de destruction massive et de liens supposés du régime de Saddam avec Al-Qaïda. J’aimerais connaître votre brillant éclairage sur le sujet…

Pour conclure ce texte, dont je reconnais qu’il est écrit sous le coup d’une froide mais raisonnée colère, je vais vous parler en quelques lignes de ce que vivent les Tibétains en Chine et dans le territoire autonome pour ouvrir vos yeux sur le régime dont êtes désormais complice, comme le furent avant vous nombre d’intellectuels qui avaient au moins l’absence de recul historique pour excuse… Ce qui n’est même pas votre cas.

Depuis l’invasion du Tibet :

Un million deux cent mille morts… Il reste aujourd’hui à peine deux millions de Tibétains au Tibet et quatre millions en Chine, la diaspora étant résiduelle. Pas de quoi mener une grande politique expansionniste, même en cas de retour de l’autonomie, face à plus d’un milliard trois cents millions de Chinois…

Un mouvement colossal de colonisation Han est tout simplement en train de faire disparaître la race tibétaine, les dix dernières années ayant vu la population locale s’étendre à tel point que les Chinois sont aujourd’hui majoritaires dans le territoire autonome.

Les femmes tibétaines sont stérilisées, oui M. Mélenchon, stérilisées par ligature des trompes.

Ces mêmes femmes, quand elles ne sont pas stérilisées (et même parfois quand elle le sont), sont obligées de se marier à des Hans pour éteindre culture et « race » (mot certes impropre) tibétaine.

D’où qu’ils viennent, nombre de Tibétains fuient leur territoire au péril de leur vie, quitte à tenter l’impossible passage par l’Himalaya.

Le simple fait de prononcer le nom du Dalaï-Lama est susceptible de prison dans les territoires chinois.

Partout où ils sont, les moines Nagkpas cachent leurs tangkas (peintures traditionnelles) de peur qu’elles ne soient immédiatement détruites.

J’arrête-là, sachant que la liste des « bienfaits » apportés par le régime chinois pourrait me prendre la journée…

Voilà, M. Mélenchon, l’ineptie que vous cautionnez… Voilà ce qu’un responsable politique socialiste, élu de la République française, trouve à dire dans cette période où, pourtant, une gauche responsable et constructive vient tant à manquer à son pays.

Pour conclure, je ne résiste pas au plaisir de citer la définition que donne de vous Jean-François Khan dans son Abécédaire mal pensant* : « Jean-Luc Mélenchon : sénateur socialiste tendance gauche archéoronchonne. Excellent tribun, il a deux problèmes : il croit tout ce qu’il dit et ne s’interdit jamais de dire ce qu’il croit. Un type dangereux  ! »

Oui, définitivement, « un type dangereux ».

Abécédaire mal pensant : Jean-François Khan, éditions Plon 2007

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